Concours “Je bouquine”
Les élèves de 4°1 ont, cette année, participé au concours des jeunes écrivains organisé par le magazine “Je bouquine”. Il s’agissait d’écrire la suite d’un texte proposé par un auteur de littérature de jeunesse. Ils ont été guidés par leur professeur de Français, madame Peysson et la documentaliste, madame Pin.
Ci dessous vous trouverez le texte proposé par Olivier Adam et la suite imaginée collectivement par les élèves de 4°1.
Le texte d’Olivier Adam : Les courants invisibles
Léa était assise juste devant moi. Elle dormait. Comme tout le monde à part moi. Je ne voulais pas en perdre une miette. Ses cheveux. Sa tête penchée sur son épaule. Elle ronflait un peu. Qu’une fille aussi parfaite puisse ronfler ainsi m’a ému, sans que je sache au fond pourquoi.
Le trajet a duré plus de deux heures. Je crois que c’est le moment que je préfère dans les sorties. Le bus ronronne. Je mets mon casque et, pardessus la musique, me parvient le bruit des autres, leur brouhaha léger, cotonneux. Je rêve à la journée qui s’annonce. Je ne pense pas à l’endroit qu’on nous emmène visiter. Ni à ce que nous en diront le prof et les guides.
Non, je pense à tout le reste. À ce qui va vraiment se passer. À Léa qui, à un moment, dans les allées du musée, dans les rues d’une ville ancienne, s’arrêtera pour refaire ses lacets, se laissera décrocher, et se retrouvera près de moi, me sourira, et marchera un peu à mes côtés. Ou bien je rêve à la journée qui s’achève, à tout ce qui ne s’est pas passé, à toutes les occasions manquées : les gestes que je n’ai pas osé faire, les mots que je n’ai pas su dire. Quand nous sommes descendus du bus, la brume enveloppait la mer, nimbait la ville d’un drap fantomatique. Tout le monde était un peu endormi. Pas moi. Je connaissais cet endroit par cœur. Au moindre rayon de soleil, les samedis, les dimanches, papa nous réveillait aux aurores et nous embarquait pour une grande journée à la mer. Deux heures de route et le soleil se levait sur l’eau émeraude. Maman n’était jamais aussi heureuse que ces jours-là. C’est peut-être pour ça que j’aimais tant cet endroit. À cause du visage souriant de maman quand elle regardait la mer. Mais ce matin-là, avec la classe, c’était comme un autre lieu.
Une autre ville. Une autre mer. Les odeurs, la lumière : tout me paraissait différent. Peut-être parce que je ne pouvais pas m’empêcher de regarder avec les yeux des autres, de me demander ce qu’ils pouvaient ressentir en découvrant ce paysage pour la première fois. Les remparts par-dessus la mer agitée. Les îles au large. La côte qui se découpait en dentelle et fuyait vers l’ouest. Le sable doré où se plantaient les brises lames. Le château et les ruelles pavées. Pour la plupart, je crois surtout qu’ils n’en avaient rien à faire. Ils étaient trop occupés à ricaner, à s’envoyer des vannes, à regarder leurs téléphones portables. Leur monde tenait sur un écran. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que ça ne faisait pas grand, à côté de tout ce ciel, de tout cet océan.
La prof nous a présenté la guide et la promenade a débuté. Après l’inévitable tour des remparts, nous sommes descendus sur la plage pour pique-niquer. C’était déjà le début de l’après-midi. La brume s’était levée depuis longtemps. La mer était basse et n’allait pas tarder à entamer sa remontée. C’était tellement étrange d’être là, sur cette plage que j’aimais plus que n’importe quel endroit en ce monde, qui était un peu mon secret, et de le partager avec Léa, même si elle m’ignorait.
Enzo a râlé que ça puait à cause des algues. Johana a ajouté que c’était moche, en plus, avec la mer retirée au loin, laissant à nu des récifs, des amas de roches où s’accrochaient des herbes rousses et vertes. J’ai pensé à papa. Selon lui, il existait deux catégories de personnes : ceux qui n’aiment que la marée haute et les autres, les poètes, les sensibles, les tourmentés, qui préfèrent la marée basse. Je vous laisse deviner dans quel camp nous nous situons maman et moi. Je me suis assis un peu plus à l’écart et j’ai mis mon casque sur les oreilles.
Après le repas, nous avons marché au milieu du sable humide jusqu’à l’île où reposait un écrivain célèbre, qui avait vécu là et demandé à être enterré face au large. On ne pouvait y accéder qu’une fois la mer en allée.
Autour de nous, des aigrettes blanches marchaient à pas de danseuses dans les flaques d’eau. Nous avons gagné le sommet de l’île. Les autres soupiraient. Ils en avaient assez de marcher. Et puis il n’y avait rien à voir.
Juste de l’eau, des rochers, et cette stupide tombe. Ils ont fait demi-tour et se sont dirigés vers la plage. Je ne les ai pas suivis. Au contraire, j’ai pris le chemin qui descendait vers la mer. Personne n’a fait attention à moi. Du moins c’est ce que j’ai cru. Arrivé au pied l’île, à quelques mètres de l’eau seulement, j’ai commencé à en faire le tour. À mes pieds, entre les rochers, dans les flaques, se pressaient les anémones de mer. J’entendais grouiller les crabes. Je n’étais plus très loin du but. De l’autre côté d’une petite pointe rocheuse, à l’abri du vent, des centaines d’oiseaux nichaient à flan de falaise. Des goélands, des sternes, des cormorans, des huîtriers.
— Où tu vas?
Je me suis retourné. C’était Léa. Mes jambes se sont mises à trembler.
Je ne sais pas ce qu’elle faisait là. Pourquoi elle n’était pas avec les autres ?
Elle m’a répondu que la prof l’avait envoyée me chercher. La mer remontait, il ne fallait pas tarder. J’ai regardé l’heure. J’ai haussé les épaules.
D’après mes calculs il me restait un peu de temps.
— OK. J’arrive. J’en ai pour deux minutes, ai-je dit.
J’ai repris mon chemin vers les oiseaux.
— Tu m’as pas répondu. Où tu vas ?
— Suis-moi. Tu verras bien.
À ma grande surprise elle s’est exécutée. Mon cœur battait jusque dans mes doigts. Je lui ai fait signe de ne surtout pas faire de bruit. On s’est planqués derrière un rocher.
La suite imaginée par les élèves de 4°1
Le professeur s’est retourné et nous a cherchés du regard. J’ai dit à Léa de ne pas se montrer.
- C’est bon, ils sont partis ! a-t-elle dit.
J’ai continué à marcher parmi les rochers et les flaques, et Léa m’a suivi. Elle observait le paysage et semblait fascinée. Devant nous s’étendait la mer. Le soleil y reflétait ses rayons topaze, miroitant au gré des îlots rocheux qui semblaient être remontés des profondeurs. Je reconnaissais les formes taillées dans le roc par la marée montante. Au bout d’un moment, Léa se retourna vers moi avec un sourire, et me dit :
- D’où connais- tu cet endroit magnifique ?
- Je viens souvent ici avec mes parents. En fin d’après midi, il y a un magnifique coucher de soleil.
Le coucher de soleil était déjà là. Des nuances de couleurs orangées couvraient le ciel, et la mer, bleu turquoise, était calme.
- Mais tu ne me l’avais jamais dit !
Je ne lui répondis pas. Je n’osais pas lui dire que je n’avais jamais osé lui parler. Nous avons continué à contourner l’île pendant encore un long moment. Bientôt, je sentis que Léa avait peur. Elle se retournait sans cesse, inquiète.
- Tu m’emmènes où ?
- Tu vas voir, c’est une surprise…
Je lui pris la main.
Elle hésita, puis décida de se laisser guider. Nous avons marché ainsi durant quelques minutes, avant d’arriver dans une petite crique comme découpée dans la falaise. La plage, à cet endroit, n’était qu’une étendue de sable humide…
Léa a quitté ses chaussures, révélant ses pieds aux ongles vernis, et s’est avancée dans la crique, s’enfonçant, à chaque pas, dans le sable humide. Toutes sortes d’oiseaux volaient au dessus de nous. Des petits, des grands, des blancs et des noirs… Des cris stridents retentissaient dans la crique. La falaise était parsemée d’oiseaux marins au plumage pâle, entassés par dizaines dans des nids de brindilles perchés dans les anfractuosités rocheuses. Des coquilles d’œufs jonchaient le sable humide. Le concert de piaillements était couvert par les battements d’ailes. Quelques albatros à la stature imposante nous fixaient de leurs gros yeux, comme s’ils étaient prêts à nous dévorer. Je l’ai suivie jusqu’à ce qu’elle s’arrête, se tourne vers moi, et me dise d’un ton émerveillé :
- C’est donc cela que tu voulais me montrer ?
J’esquissai un sourire. Nous étions au milieu de « ma » crique, un endroit paradisiaque aux senteurs marines. Nous sommes restés quelques minutes ainsi, contemplant la mer brillante, l’écume balayant les algues séchées, écoutant les vagues s’écraser contre la falaise.
Je réagis dès les premières gouttes d’eau glacée qui giclèrent sur ma jambe. La marée s’était mise à monter. Elle ne nous laisserait jamais assez de temps pour ne pas être pris au piège. Nous regardions la côte, au loin, pensant à nos amis, à notre professeur qui devait se faire un sang d’encre. Mes songes furent interrompus par les larmes chaudes de Léa qui coulaient à présent sur mon bras.
- On est perdus ! On n’a aucun moyen de contacter le reste du groupe et les téléphones ne captent pas ! On va mourir ici !
Léa semblait m’en vouloir de l’avoir embarquée dans une telle histoire, cependant, elle me prit la main, tremblante, et me dit plus doucement, comme si elle voulait me transmettre un secret :
- J’ai peur. Je ne veux pas mourir maintenant. J’ai tellement de choses à faire… et mes parents, mes amis, ma famille… C’est de ta faute tout ça !
Je ne lui répondis pas parce qu’elle avait raison sur toute la ligne. Je n’étais qu’un pauvre imbécile, égoïste. Je la vis abattue. Mon cœur se serra.
Tout autour de nous, rien que des falaises ! Et l’eau qui montait. Nous n’avions pas le temps de sortir de la crique. L’eau nous arrivait déjà aux genoux et nous commencions à sentir les courants invisibles qui menaçaient de nous emporter au large. J’observais désespérément les falaises qui nous entouraient. En me retournant, j’aperçus enfin une ouverture dans la roche, à une dizaine de mètres du sol sableux. Peut-être une grotte ! J’entraînai Léa avec moi. Nous atteignîmes facilement ce qui se révéla être une petite grotte.
- L’eau n’arrivera pas jusque là. Nous sommes à l’abri. Nous n’avons plus qu’à attendre que la mer se retire.
Je sentis Léa frissonner. Je lui donnai ma veste, elle me sourit. Machinalement je passai mon bras autour de ses épaules et la tins serrée contre moi. Nous sommes restés ainsi quelques instants, regardant tomber la nuit. Alors, comme dans un rêve, bordés par la douce lueur du soleil qui faiblit de minutes en minutes, entourés par le bruit des vagues qui venaient mourir sur la falaise, nous nous sommes embrassés. Ce fut un baiser passionné, le moment le plus fabuleux de ma vie, magique.
Nous sommes restés ainsi enlacés un long moment. Puis je la libérai de mon étreinte.
L’eau montait dangereusement. Je pensais à la prof, à la classe. Il fallait se rendre à l’évidence : la seule solution était de visiter la grotte en espérant trouver une autre sortie. Je pris Léa par la main et l’entrainai vers le fonds de la grotte. Nous avancions, grelottant de froid. Très vite l’eau nous arriva aux jambes, à la taille, à la nuque… Des courants invisibles nous happaient pour nous ramener vers l’extérieur, vers la haute mer. Je me tournai désespérément vers Léa et criai :
- Léa, je t’aime ! …
- Eh ! La marmotte, réveille-toi !
J’ouvris les yeux et aperçus le regard de Léa rivé sur moi. Je m’étais assoupi…
Tout ça n’était qu’un rêve !
Léa s’était assise à mes côtés.
- Tu as l’air de bien m’apprécier ! me dit-elle.
- Oh non. Qu’est-ce que j’ai encore dit ?
- Je t’ai entendu parler pendant que tu dormais.
Elle me prit la main et me chuchota :
- C’est réciproque !
Elle se pencha vers mon visage. Ses lèvres touchèrent les miennes. Je ne pensai à rien, fermai les yeux.
Nous avons rejoint le reste du groupe. Je balayai la plage du regard une dernière fois. La mer disparaissait à l’horizon.